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Comment les avatars transforment la collaboration à distance

Décryptage cognitif, Usages

L’avènement des technologies de collaboration à distance en entreprise a radicalement transformé la manière dont nous communiquons et collaborons à travers le monde. Au cours des dernières décennies, la vidéoconférence est devenue un outil essentiel pour les entreprises et les individus, permettant des réunions et des échanges à distance plus faciles que jamais. Alors que la vidéoconférence a incontestablement amélioré la connectivité à distance, elle a aussi révélé certaines limites inhérentes à la communication virtuelle, telles que le manque de présence et d’engagement authentique.

Dans cet article, nous plongerons au-delà de la simple vidéoconférence pour explorer une nouvelle dimension de la collaboration à distance : l’utilisation d’avatars dans les mondes virtuels. Ces entités numériques personnalisables et interactives élargissent les frontières de la communication virtuelle en offrant des expériences plus immersives et en ouvrant la porte à des formes de collaboration innovantes.

Nous avons interrogé Geoffrey Gorisse, Docteur et enseignant-chercheur à l’institut  Arts & Métiers de Laval. Geoffrey a débuté ses travaux de thèse en 2016 avec un sujet passionnant : étudier l’incarnation de personnages virtuels au sein d’environnements immersifs. L’objectif est d’observer les facteurs qui pourraient influencer cette incarnation ; et donc améliorer une expérience ou y nuire d’une certaine manière. Un des fils conducteurs principaux était en lien avec la similarité entre notre apparence physique et l’apparence de notre avatar pour ainsi comprendre comment cela pouvait impacter notre sentiment d’incarnation et notre comportement.

Nous vous proposons cet échange pour tenter de mieux appréhender cette nouvelle forme de représentation dans le milieu du travail :

Maroua : Tu sais déjà ce que je vais te demander en premier… Peux-tu nous expliquer ce qu’est le principe d’incarnation et comment il est aujourd’hui présent dans les environnements virtuels 3D temps réel ?

Geoffrey : Je te propose le plus simplement possible la théorie derrière ce principe, et elle est divisée sous 3 dimensions :

  • La localisation de soi (self-location) : le fait de se sentir situé dans son propre corps. 
    (Ndlr : Pour celles et ceux qui ont déjà pu avoir une expérience avec l’usage d’un avatar, vous pouvez comprendre cette notion par la variation du point de vue de votre personnage (1ère ou 3ème personne). Ce qui est souvent observé est que l’utilisateur tend à se sentir plus distant de son entité virtuelle lorsqu’il pilote son avatar en vue 3ème personne et par logique peut se sentir moins incarné. Notons tout de même que certains mécanismes peuvent induire un sentiment d’incarnation envers un corps distant.) 

  • L’agentivité (agency) : notre sentiment de contrôle moteur et notre capacité à être des agents actifs.
    (Ndlr : L’artifice qui permet d’obtenir une application de ce facteur serait de synchroniser nos mouvements réels avec ceux de notre entité virtuelle : Je lève le bras droit, mon avatar fait de même. On peut vivre cette expérience notamment lorsqu’on est en casque de réalité virtuelle sur les plateformes sociales Glue ou encore Workrooms de Meta.)

  • La possession (ownership) : le fait d’avoir l’impression que l’enveloppe virtuelle devient notre enveloppe charnelle – réelle, c’est une appropriation du corps.
    (Ndlr : Plus difficile à créer dans un monde virtuel qu’une expérience de VR pure. Il est intimement lié aux stimuli multisensoriels, et donc techniquement plus faible lorsqu’on se trouve face à un ordinateur, smartphone ou tablette pour vivre notre expérience de collaboration à distance en 3D.)

L’addition de ces trois facteurs est donc clé, s’ils sont réunis dans l’expérience que vous vivez, ils favorisent l’émergence et le maintien d’un sentiment d’incarnation. Bien évidemment, le sujet est très vaste et on pourrait écrire sur le sujet des pages et des pages, n’est-ce pas !

M : Est-ce que le sentiment d’incarnation intervient dans le fait de vouloir parfois absolument ressembler à son avatar, ou lui attribuer une caractéristique à notre personne physique – même si parfois on le voit chez certains de nos clients, ils se lâchent totalement sur les propositions créatives d’avatars !

G : Si on reste concentrés sur l’usage des avatars dans un contexte professionnel, alors oui c’est assez naturel de vouloir faire un avatar à notre image – physique. On parle de personnalisation, et en général on va avoir tendance à favoriser la véracité physique de notre représentation , notamment dans un contexte professionnel. On a envie que les gens – collègues, clients, partenaires – nous reconnaissent par souci de sérieux et de volonté de créer un continuum avec la réalité physique. Aujourd’hui, beaucoup de solutions proposent d’ailleurs de générer votre avatar sur la base d’une simple photo.

Enfin, tu as la récurrence de connexions dans ces environnements et la persistance d’usage des mondes virtuels qui peut nous permettre d’obtenir au sein d’une communauté une reconnaissance plus facile entre les personnes, les groupes.

M : Donc concrètement, quel rôle joue l’incarnation par l’avatar lors d’une expérience de collaboration à distance ou de rassemblement dans un monde virtuel ?

G : Je retire ma casquette de scientifique et mets celle de gamer !

Je me permets le parallèle avec le monde du jeu vidéo car j’ai été pendant plusieurs années joueur de MMORPG, et ce qu’on constate très facilement, c’est que lorsque qu’une persistance et une récurrence sont installées, tu crées plusieurs formes d’interactions sociales, pour le coup très intéressantes à transposer dans un univers professionnel. On ne peut que souligner via ces expériences au cadre virtuel, la réalité des échanges et des souvenirs créés qui vont bien au-delà de la simple connexion en ligne et qui ne s’éteignent pas en même temps que notre ordinateur comme certains peuvent le penser. Ce qui peut générer parfois chez certains utilisateurs cette sensation de se connaître et de s’être déjà vu, alors qu’ils étaient de parfaits inconnus au départ de leur rencontre.

Alors, dans un contexte professionnel, l’incarnation par l’avatar permet de manière certaine la création d’une véritable communauté sur le long terme, des formes de connexions très spontanées entre les utilisateurs et tout aussi valable et authentique que dans la vraie vie.

On notera tout de même que le choix du monde virtuel influera forcément sur le degré de ces interactions sociales et des influences comportementales induites par la nature de la plateforme et de ses fonctionnalités. Tu ne te comporteras pas de la même manière sur VRChat, à destination de communauté “créative”, et sur Teemew, dont la proposition est de recréer des campus virtuels d’entreprises.

M : Est-ce que certaines études se sont penchées sur l’impact que peuvent avoir le réalisme de ton avatar et le réalisme de l’environnement dans lequel on t’invite pour travailler ? J’ai un exemple très concret : aurais-je le sentiment d’être au travail si je me retrouve sur une île déserte avec mes collègues et un bateau pirate qui fait office de bureau ?

G : Il existe plusieurs études en effet sur le sujet, il existe des discussions sur ces modèles théoriques qui font qu’on obtient ce type d’adaptation comportementale que tu cites en exemple.. On peut citer l’effet Proteus – théorisé par des chercheurs de l’Université de Stanford. Pour faire (très) bref, cela consiste à dire que par les stéréotypes associés à l’image de ton avatar, tu vas adapter ton comportement.

Donc encore une fois, si on transpose cela à une réunion de travail dans un monde virtuel, si le corps est à même d’affecter – par convocation des stéréotypes – des comportements en réponse, la meilleure façon serait d’adapter la nature des corps, ou encore la scène virtuelle dans laquelle on se trouve, à la nature de l’usage. L’avatar peut alors se transformer comme un véritable vecteur et ainsi conditionner les utilisateurs à un objectif précis : de créativité, de production, de conception entre autre.

M: Est-ce que ce serait faux que de rapprocher le sentiment d’incarnation au sentiment de présence ?

G : Ces deux sentiments sont souvent confondus car ils jouent un rôle premier dans l’expérience d’utilisation d’un avatar dans un environnement virtuel. Et malheureusement je ne peux pas te donner de réponse simple… Mais on va tout de même essayer ! Je te propose ici encore 3 sous-dimensions qui vont permettre d’appréhender plus facilement cette notion :

    • La présence spatiale : c’est le sentiment “d’être là” dans l’environnement virtuel parmi les éléments qui le compose.
    • La présence sociale : celle-ci décrit le contexte d’interactions sociales, être présent avec les autres.
    • Présence de soi (sujet discuté) : avoir conscience de sa représentation en tant qu’individu à travers l’avatar. Cela va au-delà du corps et de l’incarnation. 

En effet, en tant que personne nous véhiculons plus que notre apparence physique. Notre statut ou notre fonction sont par exemple des éléments qui nous définissent en tant qu’individu et qui peuvent être retranscrits dans un environnement virtuel.

Je pense qu’il ne serait pas faux de dire que se sentir soi présent(e) c’est se sentir incarné. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’incarnation favorise vraisemblablement l’émergence de la présence de soi. Cependant, ces notions ne doivent pas être amalgamées avec le sentiment de présence spatiale au sein d’un environnement virtuel. Il existe des interactions complexes entre ces dimensions de l’expérience utilisateur et les théories associées font toujours l’objet d’investigations scientifiques.

M : Merci, on va devenir de vrais experts du champ lexical de l’avatar grâce à toi ! Est-ce que tu saurais nous citer quelques grands avantages qu’on pourrait retrouver à l’usage d’un avatar vs. une visioconférence traditionnelle ?

G : Maintenant je peux en effet utiliser toutes ces notions, je sais que vous suivrez.

Donc pour te répondre., tu peux éprouver un sentiment d’incarnation envers l’avatar qui favorisera la présence de soi. Via cette représentation tu pourras entretenir une interaction sociale qui elle-même induira un sentiment de présence sociale. Il existe tout de même des expériences de VR où tu pourrais très bien te sentir présent dans l’environnement virtuel à titre individuel (au sens spatial) sans cet avatar et représentation du corps.

Un constat que j’aimerais apporter si on devait comparer ces deux outils, c’est qu’il est difficile de recréer des situations d’interaction sociale où tu ressentiras autant de présence sociale que dans une visioconférence, et cela est lié à tout ce que l’avatar ne sait pas encore traduire aujourd’hui avec précision ; l’ensemble de nos expressions liées à l’interaction sociale : expressions faciales, langage corporel pour les plateformes non-immersives sans capture de mouvement, etc…

A contrario, si on parle de proxémie, la visioconférence apportera une véritable barrière par l’écran, tandis que deux avatars qui peuvent se rapprocher créent une intimité. On peut citer aussi le fait de pouvoir jouer avec les différents espaces et créer des groupes de travail, ou encore jouer sur le mouvement des personnes. L’avantage premier est spatial.

M: Pour conclure notre échange, selon toi, quels sont les défis ou les limitations actuelles de l’utilisation d’avatars dans un contexte pro, et comment les abordes-tu ? Continues-tu de travailler sur le sujet ?

G : Je pense qu’aujourd’hui le vrai défi va être de rendre accessible plus massivement la synchronisation du corps, tout existe technologiquement parlant, mais il faut le faire parvenir aux utilisateurs. Cela permettrait par exemple de retranscrire les expressions faciales (mouvement des yeux, synchronisation labiale…) et qui nous donnerait donc des expériences plus riches en présence sociale comme expliqué précédemment.

Les limites sont évidentes : l’accessibilité de la technologie, la puissance de calcul de nos outils de travail et les notions financières liées à l’équipement. Les briques technologiques sont prêtes et éprouvées, mais elles ne sont pas encore adaptées au marché grand public. Voilà pourquoi aujourd’hui on peut retrouver certaines applications de mondes virtuels professionnels qui sont relativement limitées en matière de rendu, car un photoréalisme accru demanderait une puissance de calcul que la majorité des entreprises n’ont pas à date.

Peut-être pour nuancer cette limite, je tiens tout de même à souligner qu’à priori nul besoin de cet état de l’art technologique en termes de rendu, pour pouvoir générer un sentiment de présence ou d’incarnation. C’est pour ça qu’aujourd’hui même sur des plateformes gaming ou cartoon comme Minecraft on peut dores et déjà expérimenter un sentiment de présence et de présence sociale très fort.

 

En conclusion, l’utilisation d’avatars dans un contexte professionnel ouvre des horizons plutôt enthousiasmants. Cette nouvelle dimension de la collaboration à distance offre des avantages significatifs par rapport aux visioconférences traditionnelles, tout en présentant des défis et des limitations à surmonter.

Les avantages sont nombreux : les avatars permettent de créer un sentiment d’incarnation, favorisant ainsi une interaction sociale plus riche et une présence sociale authentique. Ils offrent également la possibilité de jouer avec les espaces virtuels, de créer des groupes de travail et d’explorer de nouvelles formes de proximité. La technologie est prête à relever ces défis, mais son accessibilité, la puissance de calcul nécessaire et les coûts restent des obstacles à surmonter.

Cependant, même en connaissant ces limitations, il est encourageant de constater que même des plateformes moins sophistiquées peuvent déjà offrir un sentiment de présence et d’incarnation. Le potentiel technologique est évident, et avec le temps, on peut s’attendre à voir converger la recherche fondamentale et appliquée pour rendre ces expériences encore plus immersives et accessibles. En fin de compte, l’incarnation par l’avatar ouvre de nouvelles voies passionnantes pour la collaboration à distance, en transformant la manière dont nous interagissons, apprenons et travaillons ensemble. À mesure que la technologie évolue, il sera passionnant de voir comment ces avatars continueront de redéfinir la manière dont nous nous engageons dans le monde professionnel virtuel.

Pour rappel : le terme “monde virtuel 3D” temps réel” est présenté comme le “Métavers”, mais on le rappelle ce n’est qu’une partie de tout le concept ! Retrouvez notre article introductif au Métavers ! 

rédigé par Maroua El Mokthari

Maroua baigne dans la Tech depuis 2017, plus particulièrement les techs immersives. Les technologies du Métavers n'ont plus trop de secrets pour elle (enfin c'est ce qu'elle croit vu la vitesse à laquelle le marché évolue !) En charge du Growth chez Komodal, elle accompagne les équipes Sales et Consulting et livre tous ses apprentissages B2B dans les mondes virtuels.

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